Incandescences
A film by Jorge Léon
in development - project selected for FIDLAB 2019
https://fidmarseille.org/film/incandescences/
By focusing on the fantasy of immortality, Incandescences questions our desires, fears and burning aspiration to move beyond the finite nature of our existence in this world – the end of which is constantly being announced.
Lucy, our three-million-year-old ancestor, whose voice and body will be invented for the purpose of the film, joins us in the present and shares her perceptions, reflections, perspectives, and projections thus acting as the lucid and critical guide of a cinematographic meditation, which celebrates life despite the social, ecological, and political choices that threaten it.
Notes by Caroline Lamarche
Le 24 novembre 1974, sur le site de Hadar, en Ethiopie, des archéologues ont amené à la lumière 52 fragments d’un squelette qu’ils ont nommée Lucy. Ils les ont nettoyés, dessinés, analysés, puis les ont disposés pour la figurer en entier, élucidant la manière dont elle se déplaçait, se nourrissait, s’exprimait et, finalement, était morte.
Tâche prudente, humble, minutieuse. Moins désincarnée et moins folle que celle qui consiste à morceler l’humain en composants numériques, en vue d’une existence hors-corps, devenus tout-entiers machines comme nous le promettent les trans-humanistes. Chercher des traces, peigner le sable, collecter les pollens, identifier des restes, vivre dans l’intimité des morts : tâche à rebours de ceux dont le projet consiste à nous couper définitivement de la nature et de notre propre corps.
Les os de Lucy m’habitent. Telle quelle, elle vit à mes côtés. Non à la manière des reconstitutions qui nous la montrent simiesque et velue, mais comme telle, dans son être d’os, déposés avec soin, ce dessin ferme et léger, gracieux, si graphique qu’il s’imprime sans effort dans ma mémoire. L’incomplétude est promesse. L’esprit se projette dans les vides, dessine les parties manquantes, les couvre de chair, leur donne ampleur et lumière, cherche en elle consolation.
« Donne-moi une voix ! » réclame alors la créature.
La voix humaine, contrairement à celle des robots, est organique. Elle naît des poumons, du larynx, des cordes vocales, de la bouche. Chez les poètes, ces animaux étranges, elle naît souvent dans la tête et puis saute dans la main, ce qui donne des mots sur une page. Mais à Lucy, demi-squelette d’australopithèque dont le langage était probablement fait de cris, quelle voix donner ? De quoi pourrait-elle-être le signe ? Que nous dira-t-elle, surgie de millénaires de silence et d’un cerveau plus petit que le nôtre ? Faudra-t-il qu’elle s’émerveille, s’épouvante ? Nous signifiera-t-elle, d’instinct, qu’il ne convient plus de bondir en avant mais qu’il est urgent de se placer sous la protection des grands arbres ? Sera-t-elle, cette voix, de feu ou de verre ? Incandescente ou froide ? Solide ou friable ? Babil d’enfant ou segments articulés ? Capable de rire ? De colère ? Se cherchera-t-elle longtemps ? La chercherons-nous longtemps ? Nous parviendra-t-elle en fragments, comme les poèmes de Sapho, signes de piste d’une beauté perdue ?
Qui, d’elle, de moi, de mes lectures, musiques, pensées, du vent, du feu, de l’eau, des millénaires traversés et du gouffre à venir, façonnera cette voix ?
Qui prendra soin de l’autre ?
Et combien d’autres voix viendront se joindre à nous ?